Vous êtes dans : Accueil > Tribunes libres >

Les poches trouées de l'informatique

Cédric Cartau, LUNDI 30 NOVEMBRE 2015

Laissez-moi vous narrer une petite mésaventure récente, dans un domaine certes à la limite de l'informatique (quoique) : les photocopieurs multifonctions, MFP pour les intimes.

Mon établissement vient de changer son parc de MFP. : mise en concurrence, choix du mieux disant, notification, déploiement, rien que de très normal. Nous quittons donc le monde Xerox pour celui de Sharp, cela a du certainement se jouer à la cinquième décimale du prix à la page, et très honnêtement je me fiche de la marque du MFP comme de ma première souris. Nouveaux appareils, bel écran tactile sur le devant (d'une taille qu'à ce rythme on va bientôt pouvoir regarder le dernier épisode de Star War en 16/9), à part cela rien de nouveau, les 3 bacs, le chargeur, la vitre sur le devant, etc.

La toute première fois que j'ai du utiliser la bête, c'était pour numériser une feuille A4 (recto), me voilà donc à pianoter – ou plutôt cliquer – sur l'écran tout en couleur. Et là, mes zygomatiques fichent le camp, ma tension monte et je commence à m'énerver : au bout de 5mn de pianotage, impossible de trouver mon adresse mail sur l'écran, ni en la tapant en direct, ni en cherchant l'annuaire AD, pourtant interfacé avec le MFP. Menus pas clairs, cul de sac dans les choix, retour à l'écran d'accueil. Je fini par appeler la secrétaire – qui, je le précise, a été formée sur le MFP et qui est tout sauf bête - : 5mn après elle avoue ne plus savoir comment on fait. Bref, au bout de 15mn de bagarre avec l'engin – et une envie folle de le passer par la fenêtre que seul a calmé son poids, le double du mien – je commence à bramer dans le couloir. Cela a du ficher une belle peur au MFP, qui a finit par me montrer le menu que je cherchais (comme quoi, gueuler dès fois çà marche). Bilan du match : Cédric 1 – MFP 0, KO en 20 minutes, je vais éviter le café pendant quelques jours.

Petit calcul rapide : sur les 12 000 agents que compte mon CHU, si seulement ¼ passent par les mêmes affres, cela fait tout de même 1000h de perdus, soit un peu plus d'un demi ETP. Il faut 18 clics pour numériser un document simple (nous les avons comptés), soit le double de ce qu'exigeait le matériel précédent. A supposer que cela prenne 10 secondes de plus qu'avant (chiffre très optimiste qui suppose qu'il n'y aura jamais d'erreur dans la suite de clics, que quelqu'un vienne me montrer) et que chacun des 3000 agents susnommés numérise un document par jour, le coût total pour l'établissement se chiffre à une perte de 1600h par an, soit environ 1 ETP (à rajouter au demi-ETP de « prise de connaissance » chiffré plus haut, la première année). En comparaison avec la cinquième décimale du coût à la page, les économies de l'acheteur ont couté cher au CHU.

La technologie ferait-elle perdre de l'argent, à la manière d'un homme qui avance dans la rue, les poches trouées et les pièces tombant à chaque pas ? Les ergonomes de Sharp (s'ils en ont) ont soit beaucoup d'humour, soit en veulent à leurs clients. Toujours est-il que je vois bien les haussements d'épaules : ah, ces utilisateurs, ils veulent des fonctionnalités mais pas apprendre les matériels ! Notez que je n'ai strictement rien gagné par rapport aux MFP précédents, j'assume le coût du changement sans gain de productivité.

En tant qu'informaticien, j'ai souvent été confronté aux remarques acerbes des utilisateurs se plaignant que les logiciels ne sont pas ergonomiques, ne sont pas intuitifs, etc. etc. etc. Et moi aussi j'ai haussé les épaules. Alors laissez-moi vous dire : il est très désagréable de se retrouver de l'autre côté du manche.

#chu