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Certification des LAP : on efface tout et on recommence ?!

Par Me Omar Yahia, LUNDI 11 DéCEMBRE 2017

On nous aurait menti ?! C’est un véritable séisme qui secoue le milieu des éditeurs des logiciels d’aide à la prescription.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a en effet rendu sa décision C-329/16 du 07 décembre 2017, par laquelle elle reconnaît au logiciel d’aide à la prescription la qualité de dispositif médical. A lire certaines dépêches, la certification obligatoire par la HAS serait désormais caduque.

Mais qu’en est-il exactement ? Examinons le texte de la décision de plus près.

Il s’agissait pour le SNITEM et Philips France de contester la légalité des dispositions du décret n°2014-1359, du 14 novembre 2014, relatif à l’obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription médicale (LAP) et des logiciels d’aide à la dispensation (LAD) prévue à l’article L.161-38 du code de la sécurité sociale (CSS).

C’est à l’occasion de ce recours porté devant le Conseil d’Etat que les requérants ont sollicité de la Haute juridiction la transmission d’une question préjudicielle auprès de la CJUE.

Il soutenaient en effet que, dans la mesure où certains au moins des LAP entrent dans le champ d’application de la directive européenne du 14 juin 1993, les dispositions de l’article L.161-38 du CSS et les dispositions contestées du décret de 2014, en ce qu’elles soumettent certains LAP à une obligation de certification alors même qu’ils porteraient le marquage CE attestant de ce qu’ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité dans un autre Etat membre de l’UE, méconnaissent les objectifs de l’article 4 de cette directive, qui interdit aux Etats membres d’empêcher ou des restreindre la mise sur le marché ou la mise en service des dispositifs médicaux portant le marquage CE. 

Par décision du 08 juin 2016, le Conseil d’Etat a accepté de surseoir à statuer et de transmettre à la CJUE cette question préjudicielle (CE, 8 juin 2016, n°387156). C’est ainsi que dans sa décision du 07 décembre 2017, la juridiction européenne a donné sa grille de lecture, laquelle mérite une large reproduction :

« (…)
22      Il ressort expressément de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 qu’un logiciel constitue un dispositif médical aux fins de cette directive lorsqu’il satisfait aux deux conditions cumulatives que doit remplir tout dispositif de cette nature, tenant respectivement à la finalité poursuivie et à l’action produite.
23      S’agissant, premièrement, de la finalité poursuivie, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive prévoit qu’un dispositif médical doit être destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins, notamment, de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, ainsi que de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap.
24      (…) Le législateur de l’Union a donc rendu sans équivoque le fait que, pour que des logiciels relèvent du champ d’application de la directive 93/42, il ne suffit pas qu’ils soient utilisés dans un contexte médical, mais il est encore nécessaire que leur destination, définie par leur fabricant, soit spécifiquement médicale (arrêt du 22 novembre 2012, Brain Products, C‑219/11, EU:C:2012:742, points16 et 17). Un logiciel qui ne remplirait pas cette condition ne pourrait tomber dans le champ d’application de cette directive que s’il constitue l’accessoire d’un dispositif médical, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de ladite directive. Un tel logiciel devrait être alors traité, aux fins de la même directive, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, comme un dispositif médical à part entière.
25      En l’occurrence, un logiciel qui procède au recoupement des données propres du patient avec les médicaments que le médecin envisage de prescrire et est, ainsi, capable de lui fournir, de manière automatisée, une analyse visant à détecter, notamment, les éventuelles contre‑indications, interactions médicamenteuses et posologies excessives, est utilisé à des fins de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie et poursuit en conséquence une finalité spécifiquement médicale, ce qui en fait un dispositif médical au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42.
26      Tel n’est en revanche pas le cas d’un logiciel qui, tout en ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, a pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données, comme un logiciel de stockage des données médicales du patient, un logiciel dont la fonction est limitée à indiquer au médecin traitant le nom du médicament générique associé à celui qu’il envisage de prescrire ou encore un logiciel destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant de ce médicament dans sa notice d’utilisation.
27      S’agissant, deuxièmement, de la condition tenant à l’action produite, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si un logiciel qui n’agit pas par lui‑même dans ou sur le corps humain peut être un dispositif médical au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42.
(…)
29      Ainsi qu’il ressort du considérant 6 de la directive 2007/47 et du point 24 du présent arrêt, le législateur de l’Union a entendu se concentrer, pour qualifier un logiciel de dispositif médical, sur la finalité de son utilisation et non sur la manière dont est susceptible de se concrétiser l’effet qu’il est en mesure de produire sur ou dans le corps humain.
30      En outre, refuser à un dispositif n’agissant pas directement dans ou sur le corps humain la qualité de dispositif médical reviendrait en pratique à exclure du champ d’application de la directive 93/42 les logiciels qui sont spécifiquement destinés par le fabricant à être utilisés dans un ou plusieurs des buts médicaux figurant dans la définition d’un dispositif médical, alors que le législateur de l’Union a entendu, par la directive 2007/47, faire entrer de tels logiciels dans cette définition, que ceux-ci agissent ou non directement dans ou sur le corps humain.
31      L’ajout d’une telle condition risquerait en conséquence de priver l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive en partie de son effet utile.
32      Ainsi, il importe peu que, pour être qualifiés de dispositif médical, les logiciels agissent directement ou non sur le corps humain, l’essentiel étant que leur finalité soit spécifiquement l’une de celles visées au point 24 du présent arrêt.
(…)
34      Il s’ensuit qu’un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre‑indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain.
35      En conséquence, et dans la mesure où un tel logiciel est un dispositif médical, il doit, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, de cette directive, obligatoirement porter le marquage CE de conformité lors de sa mise sur le marché. Une fois ce marquage obtenu, ce produit, pour ce qui est de cette fonctionnalité, peut être mis sur le marché et circuler librement dans l’Union sans devoir faire l’objet d’aucune autre procédure supplémentaire, telle une nouvelle certification (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2009, Nordiska Dental, C‑288/08, EU:C:2009:718, point 21).
36      Dans le cas d’un logiciel médical comprenant à la fois des modules qui répondent à la définition de la notion de « dispositif médical » et d’autres qui n’y répondent pas et qui ne sont pas des accessoires au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/42, seuls les premiers relèvent du champ d’application de cette directive et doivent faire l’objet d’un marquage CE.
37      À cet égard, les lignes directrices de la Commission mentionnées au point 33 du présent arrêt confirment en substance, au titre 4, intitulé « Modules », que, lorsqu’un logiciel est composé de modules qui répondent à la définition de la notion de « dispositif médical » et d’autres non, seuls les premiers doivent faire l’objet d’un marquage CE, les autres n’étant pas soumis aux dispositions de cette directive. Ces lignes directrices précisent qu’il incombe au fabricant d’identifier les limites et les interfaces des différents modules, lesquels doivent, s’agissant des modules soumis à la directive 93/42, être clairement identifiés par le fabricant et fondés sur l’utilisation qui sera faite du produit.
38      Il en résulte que le fabricant d’un tel logiciel est tenu d’identifier lesquels des modules constituent des dispositifs médicaux, afin que le marquage CE puisse être apposé à ces seuls modules.
39      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 doivent être interprétés en ce sens qu’un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins, notamment, de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical, au sens de ces dispositions, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain ».

Il serait bien difficile de résumer un raisonnement aussi riche et construit. Je laisse donc aux lecteurs le soin de méditer sur ce large extrait.

Que va-t-il se passer dans les semaines et mois à venir ? Difficile à dire. Le Conseil d’Etat va vraisemblablement annuler les dispositions réglementaires attaquées par le SNITEM et Philips France et le Gouvernement devra revoir sa copie.

Cela dit, la décision de la CJUE n’a pas empêché le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2018, de prévoir une « certification des fonctions relatives à la délivrance des dispositifs médicaux et des prestations qui leur sont associées », ce texte ayant toutefois été déféré au Conseil constitutionnel qui ne peut ignorer la récente décision de la CJUE, étant précisé que le droit communautaire prime sur le droit national des Etats membres.

Et quel intérêt pour les éditeurs d’avoir engagé des dépenses inutiles pour faire certifier leur logiciel en vertu d’une obligation qui, au final, n’était pas obligatoire d’après la CJUE ? Bel imbroglio, en perspective !

L'auteur

Me Omar Yahia
Avocat à la Cour
contact@yahia-avocats.fr

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