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Les beaux jours de l’aide à la décision et de l’IA en radiologie. Pourquoi pas d’autres disciplines médicales ?

Marius Fieschi, MARDI 06 FéVRIER 2018

Les promesses et les annonces concernant les résultats des méthodes d’intelligence artificielle et l’aide à la décision en imagerie conduisent à s’interroger : pourquoi la radiologie ? Qu’est-ce qui la distingue d’autres disciplines cliniques pour lesquelles les prospectivistes ne disent rien ou sont plus réservés ? S’agit-il des caractéristiques de la discipline, des méthodes du deep learning qui seraient particulièrement bien adaptées à ce type de données, de la disponibilité des données massives, des types de décisions ou des conditions d’exercice en imagerie ?

Ces interrogations peuvent être fécondes pour comprendre quelles sont les conditions d’acceptation de l’aide à la décision plus largement, en pratique clinique. Malgré les résultats produits par la littérature qui ont démontré les avantages et la performance des aides à la décision basées sur de multiples méthodes, dans de multiples contextes et de nombreuses applications depuis trente ans, ces outils peinent à s’introduire dans les systèmes d’information cliniques. Il est maintenant certain que le niveau de performance pure ne suffit pas à assurer l’utilisation de ces systèmes en pratique.
L’analyse des nouveaux développements de l’aide à la décision en imagerie médicale peut aider à identifier les déterminants d’un meilleur usage de ces systèmes et à réorienter les systèmes d’information pour bénéficier de ces outils et améliorer les pratiques dans d’autres disciplines.
Nous analysons brièvement les raisons qui caractérisent la situation particulière de l’imagerie avant de discuter le futur de ces outils dans d’autres disciplines cliniques.

Les raisons liées à la discipline

Il faut constater une particularité de la radiologie moderne qui, sans l’informatique, n’existerait pas. C’est une spécificité de cette discipline médicale. Les technologies du numérique sont totalement intégrées à ce métier à tel point que ce métier en dépend. En radiologie, l'image est la visualisation du résultat d'une série de traitements d'informations issue des phénomènes physiques utilisés (électromagnétisme, rayonnement, ...) produisant des données numériques natives. Ceci a conduit au développement d’une culture sur le traitement des informations qui n’a pas la même importance dans d’autres disciplines. Cette culture s’est développée depuis l’introduction du numérique en imagerie et est largement partagée par tous les radiologues. Les débats touchant à l’usage des TIC en médecine ne touchent pas ce secteur de la même façon que les autres pratiques cliniques.

Les raisons liées à l’activité

À la différence des autres disciplines cliniques, le radiologue lors de l’élaboration de son interprétation, n’est pas confronté à un malade mais à une console de travail fournissant les données relatives au patient. Tous les processus de visualisation et de reconstruction n'ont pour but que de faciliter, d’aider, voire de préciser l’interprétation.La délimitation interactive d'une région est l'approche la plus simple et des seuillages de niveaux de gris largement dépendants de l'opérateur (seuillage manuel) peuvent être utilisés, ou faire l'objet de processus automatiques (croissance de région, détection de contour, seuillage par détection de vallées, ...). Dans la pratique, ces techniques sont rassemblées dans des palettes d'outils interactifs qui constituent autant de dispositifs d’aide à la pratique radiologique quotidienne. Par ces développements, l’homme et la machine sont en interaction permanente. Depuis longtemps le radiologue est familiarisé avec des outils informatiques qui sont intégrés à son métier. Ainsi, le traitement des données n’interrompt ni ne perturbe le processus, il est au contraire indispensable au processus d’interprétation. De fait, l’ordinateur n’éloigne pas le radiologue de son patient, il lui offre des aides déjà disponibles et déjà intégrées dans sa pratique (mesure de certains paramètres, évaluation de sténoses ou de déficits, …), en attendant les outils d’aide à la décision plus élaborés annoncés par les méthodes d’IA.

Les raisons liées aux données

Les données nécessaires pour élaborer des modèles et des outils d’aide à la décision font souvent défaut, au bon moment au bon endroit, et constituent la première barrière à franchir. En radiologie, la situation est très différente. Les grandes masses de données existent. De plus, elles sont disponibles sous un format standard. Les infrastructures de gestion de ces masses de données sont en place. Les PACS offrent les fonctions utiles à ces développements.
Ainsi, l’imagerie dispose-t-elle de deux leviers puissants pour développer des aides à la décision : la disponibilité et la standardisation des données. On ne retrouve pas cet environnement et ces modalités de production de données dans d’autres disciplines, même en anatomopathologie qui est aussi une discipline ou l’interprétation des images est centrale.
En radiologie, les exigences des méthodes du deep learning concernant les données, leur volume, leur disponibilité sont satisfaites. Leur standardisation favorise le développement d’applications interopérables. On rencontre rarement cette situation dans d’autres disciplines cliniques.
Ajoutons que les données sont mises en forme par l’ordinateur pour construire des images. A la différence de bien d’autres disciplines cliniques les données ne sont pas fournies par le praticien mais par la machine. Le praticien n’a, concernant l’acquisition des données, pas de temps à lui consacrer, aucun effort particulier à fournir. On identifie là une différence importante qui est un frein pour le développement de ces méthodes dans d’autres disciplines. Enfin, la question de la présentation, de la visualisation et de la synthèse des données difficiles à résoudre dans les disciplines cliniques est résolue en radiologie par construction même de l’image qui donne du sens aux données de base traduisant les phénomènes physiques observés.
Enfin, la standardisation sémantique des données et leur codage, selon des référentiels utilisés par tous, est un problème qui ne se pose pas avec la même acuité en imagerie. La disponibilité de données interopérables sur le plan sémantique est également un défi pour les autres disciplines cliniques.

Les raisons liées aux méthodes

Au début des années 80, lors du développement massif des applications de l’intelligence artificielle en médecine, outre les performances recherchées avec les systèmes experts, on cherchait à réaliser des systèmes capables d’expliquer leurs raisonnements et leurs conseils pour les rendre acceptables par les professionnels de santé. Rechercher des méthodes « explicatives » était central suivant les idées fortes de cette époque selon lesquelles, l’acceptation d’un système trouve ses limites si un avis est fourni à un clinicien sans que celui-ci puisse retrouver les arguments qui le fondent et s’il ne peut le comprendre.
Aujourd’hui les méthodes du deep learning, fournissent des résultats sans explication. En radiologie, l’aide d’un programme qui n’explique pas mais qui attire l’attention voire qui propose un diagnostic basé sur le traitement d’images est plus acceptable. L’explication tient au type de l’activité interprétative fortement centrée sur la connaissance de l’anatomie et du comportement des structures tissulaires suivant le phénomène physique auquel elles sont soumises. Elles sont restituées par les traitements d’images auxquels sont familiers ces professionnels qui retrouvent ces connaissances. Les traitements d’images ne gênent en aucun cas leurs interprétations, bien au contraire.

Les raisons liées aux types de décisions

Dans l’activité courante de radiologie, la compréhension profonde du phénomène n’est pas nécessaire pour interpréter une image, identifier une anomalie ou une structure radiologique particulière. De plus, si un programme identifie une anomalie et la pointe sur un écran pour validation par le radiologue, on est plus dans le constat, dans l’observation, qui sera immédiatement perçue par le professionnel sans besoin d’explication, que dans un cheminement décisionnel comme on peut le retrouver dans la prescription d’un médicament dans certaines situations complexes ou il faut discerner entre plusieurs solutions, faire des choix coût-efficaces, suivre le protocole de soins le plus adapté et tenir compte des préférences du patient. Dans ces situations, le praticien doit comprendre la recommandation d’un système d’aide à la décision pour l’adopter. C’est notamment le cas des situations très complexes où les arsenaux thérapeutiques évoluent assez vite, comme en oncologie par exemple, le cas de Watson for Oncology (WFO)(1) semble soutenir ce propos.

Discussion

Les atouts soulignés de l’imagerie pour l’usage du numérique et de l’aide à la décision doivent nous conduire à rechercher une situation analogue dans d’autres disciplines médicales.
Pour les radiologues, l’intégration du numérique dans les processus « métier » est la plus aboutie. Cette caractéristique doit inciter à rechercher, pour les autres disciplines cliniques, une meilleure définition des processus et de production des données. Il s’agit de concevoir des outils informatiques susceptibles de soutenir le déroulement des processus, de proposer des outils d’acquisition, de visualisation de données et des métaphores plus intuitives pour favoriser l’intégration du numérique dans l’univers du médecin.
Concernant l’activité et les données, on peut penser que la multiplication des capteurs permettant de recueillir automatiquement les diverses données de manière numérique native, dont les disciplines cliniques ont besoin, rapprochera les autres disciplines de la situation de la radiologie. Le temps nécessaire à la saisie des données et l’organisation que celle-ci impose, au bon moment au bon endroit, a été depuis longtemps identifié comme un frein au développement de l’assistance que peuvent fournir des outils informatiques. Pour que la standardisation et la disponibilité des données améliorent les conditions de mise en œuvre de l’aide à la décision il convient de travailler à une plus grande disponibilité des données en pratique courante.

Le développement de la pratique professionnelle à distance, à travers la télémédecine, est nécessaire pour faire face aux défis notamment des personnes vivant dans des territoires peu peuplés ou l’équité et l’accès aux soins commandent ce développement. Le monitorage à domicile de certains patients est une solution intéressante sur le plan financier comme sur celui du confort du patient. Ces changements de modalités d’exercices sont de puissants leviers pour faire des outils du numériques des outils naturels pour les futurs professionnels, quelle que soit la discipline médicale. Ces pratiques produisent des données numériques natives et rapprochent inévitablement le praticien des outils de traitement de l’information. Les interactions homme-machine via les assistants personnels virtuels et la réalité augmentée sont à l'ordre du jour pour les fournisseurs de TI pour la santé qui voient dans les interactions directes avec et entre les machines, un moyen de changer les flux de travail et les processus.

La recherche de l’interopérabilité sémantique des données est un point central pour le développement de l’aide à la décision dans les disciplines cliniques. Elle doit faire l’objet d’une plus grande attention, notamment en France, dans les politiques de soutien et de développement du numérique dans le domaine de la santé.

L’intérêt des outils que fournit la recherche sur l’intelligence artificielle pour la décision est avéré. Les pays qui sont capables d’identifier les conditions de son développement et de mettre en place les moyens pour ce faire, seront leaders dans « l’industrie de l’intelligence ». Aujourd’hui les données sont dispersées dans des silos gérés au nom d’intérêts divergents sans considération réelle ( sinon dans les affirmations des principes mais assez peu dans les faits) pour l’intérêt du citoyen, de sa santé ou pour l’intérêt général favorisant les recherches en santé. Cette situation concernant les données rend irréalisable ou difficilement réalisable certaines analyses ou le développement de services ou de recherches. Pour se développer, ces recherches et ces services ont besoin d’infrastructures, de dispositifs produisant des données cohérentes et d’une politique unifiée favorisant la mise en place de ces infrastructures. Elles sont à la base des services qui doivent être proposés aux patients, aux professionnels et aux chercheurs. Faute de quoi l’engouement auquel on assiste risque de s’éteindre. Ce ne sera pas du fait des méthodes d’IA mais de l’absence de vision sur les conditions de leur applicabilité.

L'auteur : 

Marius Fieschi est professeur honoraire de santé publique à la faculté de médecine de Marseille. Il a créé et dirigé, dans cette faculté, le laboratoire d’enseignement et de recherche sur le traitement de l’information médicale (LERTIM) où son travail de recherche a abordé les thèmes de l’aide à la décision médicale, des applications de l’intelligence artificielle à la médecine et des systèmes d’information en santé. Il a été vice-président de l’université de la Méditerranée (2008-2011) et Chef du pôle de santé publique à l’AP-HM. Il est l’auteur de plusieurs rapports aux ministres de la santé.

 


(1) Somashekhar SP, Sepùlveda M-J, Puglielli S, Norden, AD, Shortliffe EH, et al.
Watson for Oncology and breast cancer treatment recommendations:  agreement with an expert multidisciplinary tumor board. Annals of Oncology 0: 1–6, 2018 doi:10.1093/annonc/mdx781

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