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Les théories du complot appliquées à la cyber

Cédric Cartau, LUNDI 20 FéVRIER 2023

Récemment, une discussion entre amis a doucement dérivé vers les théories complotistes.

Avant la pandémie je n’avais aucune idée de ce que recouvraient les théories conspirationnistes, ni même des bizarreries sur lesquelles on pouvait tomber, en dehors bien entendu de la gnognotte habituelle du genre Elvis et Marilyn ne sont pas morts, le 11 septembre a été fabriqué par la CIA, etc. Non, non, je fais référence aux vraies théories, du lourd, celles qui font, quand on tombe dessus, qu’on se demande si le loustic qui vous alpague ne joue pas les plaisantins nunuches à la façon d’un Jacques Legras et sa caméra cachée. Personnellement, mes préférées sont, dans le désordre : la Terre est plate (on appelle les tenants de cette théorie « les platistes »), Apollo 11 n’a jamais atterri sur la Lune (il s’agirait d’une scène tournée en studio), la Terre est dirigée par des reptiliens (parmi lesquels on compte, entre autres, la reine Élisabeth, Obama de même que la plupart des dirigeants occidentaux), et les chemtrails, une théorie selon laquelle des avions furtifs passent leur temps à survoler les villes pour balancer des produits chimiques qui nous abrutissent (authentique, je veux dire la théorie).

Rien que pour ce qui concerne les platistes, selon certaines estimations, 0,1 % de la population mondiale y adhérerait au moins en partie, ce qui fait tout de même pas mal de monde. Pas mal d’auteurs ont disséqué dans tous les sens la naissance et l’existence de ces théories ; on peut citer notamment les publications de Gérald Bronner. Mais je me dis que, dans l’histoire, on ne voit pas pourquoi les RSSI et autres DSI/DPO/MOA seraient les seuls à ne pas avoir le droit de se marrer un peu : soyons fous, lançons donc officiellement des théories du complot cyber.

Équivalent de la gnognotte ci-dessus, à la prochaine panne réseau, expliquez à la personne en face de vous (non informaticienne s’entend) que c’est parce que quelqu’un a marché sur un câble et que les octets ne pouvaient plus passer, comme l’eau quand on marche sur le tuyau d’arrosage du jardin – je vous jure qu’un jour j’ai sorti cette explication et que la personne m’a cru. J’ai eu un peu honte après, mais c’est passé, ouf !

Sinon, y a le grand classique selon lequel les malwares sont fabriqués par les éditeurs d’antivirus – et les bugs par les éditeurs eux-mêmes, ne soyons pas bégueules. Le truc, c’est d’amener votre interlocuteur à la conclusion que s’il n’y avait pas de logiciels, y aurait ni bug ni malwares – bon en gros, sans informatique, y a pas de problème.

Pour la théorie des reptiliens, je vous signale à toutes fins utiles que Bill Gates fait partie des personnages soupçonnés d’être de gros lézards, le créneau est donc pris – tout comme celui des Illuminati qui dirigent le monde (Bilou en serait aussi), on s’est fait piquer le créneau. Par contre, je verrais bien un truc dans le genre du bit de parité qui aurait été imposé par les reptiliens-Illuminati pour espionner nos conversations, faut tester dans un dîner en ville, jute pour voir la tête des convives.

En dehors de la plaisanterie de potaches que constituent ces inepties, un document a été publié il y a plusieurs décennies par Jean-Marc Lévy-Leblond intitulé « Éloge des théories fausses ». Dans ce texte court (à peine dix pages, que l’on peut trouver, entre autres, ici[1]), l’auteur explique donner à ses élèves l’exercice suivant : il s’agit de prétendre que la Terre est creuse et que nous vivons à l’intérieur (comme des fourmis qui se promèneraient à l’intérieur d’un ballon de foot), l’objectif étant de démonter cette théorie en face d’un individu de parfaite mauvaise foi qui argumente pied à pied. Figurez-vous que ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

Tout l’intérêt de ces petits jeux est surtout de parfaire son propre raisonnement logique. Juste à titre d’exemple, un des arguments des platistes consiste à dire que « prétendre que la Terre est ronde aura permis à la Nasa de siphonner des sommes colossales pour la recherche spatiale » – sauf qu’il n’y a aucun lien logique entre ces deux affirmations. Vous seriez surpris de voir le nombre de personnes incapables de faire la distinction entre corrélation et causalité, ce qui personnellement me fascine totalement. Dans mes rêves les plus fous, je me surprends à imaginer un monde idéal où les entreprises recruteraient un DPT (Data Protection Thinking), sorte de DPO dont la mission serait de valider les raisonnements qui sous-tendent une décision managériale, non pas sur le fond mais sur la forme – mais n’en parlez à personne, on a mis des gugusses au goulag pour moins que cela.

Mais bon, en même temps, est-ce que ce n’est pas nous, pauvres suppôts du système, qui sommes dans l’erreur ? N’a-t-on pas avalé sans discernement tout ce que l’on nous a fait ânonner sur les bancs de l’école ? Par exemple, il se dit que Victor Hugo n’a jamais existé, et que c’est un autre type, comme par hasard appelé aussi Victor Hugo, qui a tout écrit à sa place.

Et d’ailleurs, êtes-vous bien certains que Cédric Cartau existe vraiment ? Si DSIH avait depuis des années inventé ce personnage fictif, que personne n’a rencontré, et faisait en réalité rédiger ses inepties par une version alpha de ChatGPT ? Et que le vrai Cédric Cartau est en fait soudeur-monteur chez Micromou ?


[1]   https://123dok.net/document/4yrook8y-artheque-stef-ens-cachan-eloge-theories-fausses.html 


L'auteur 

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.

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