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ChatGPT : la voie étroite entre l’interdiction et l’adaptation

Cédric Cartau, MARDI 09 MAI 2023

À chaque fois que j’écris un billet sur l’IA et ChatGPT, je me dis que c’est le dernier, que le sujet est bouclé, mais en fait non.

Pendant mes trajets, j’écluse mes podcasts. L’un d’eux illustre l’impact sur l’emploi, en relevant que dans le monde entier IBM vient de geler ses recrutements dans le secteur administratif, et de citer plusieurs études qui nous prédisent une apocalypse pour le marché du travail, avec des destructions d’emploi oscillant allègrement autour de 30 % – dans le meilleur des cas. Bon, dans le même temps, en 2023, aucun journaliste ne ramène plus du clic ou de l’audience en nous expliquant que tout va bien (sauf moi ici[1], mais je ne suis pas journaliste). Cela étant, rien ne nous empêche d’exercer ce à quoi sert, entre autres, la masse spongieuse entre nos deux oreilles : l’esprit critique.

Globalement, il y a deux visions du sujet. La première consiste à envisager l’IA comme une révolution parmi d’autres, au même titre que l’électricité, le moteur à explosion ou l’informatique, à laquelle le marché et la société finiront par s’adapter comme ils l’ont fait à chaque fois. Les cassandres qui nous annonçaient le Big Foutoir les coups d’avant se sont complètement vautrés, pas de raison qu’ils aient raison cette fois-ci.

La seconde constate qu’aucune des révolutions technologiques du passé n’a chamboulé la société en un temps aussi court. L’invention de l’imprimerie en Occident n’a pas modifié aussi rapidement le paysage de l’édition qu’on le pense : dans les 50 années qui ont suivi l’invention de Gutenberg, la quasi-totalité des éditeurs ont mis la clé sous la porte, seuls ont survécu les rares qui avaient décroché des contrats avec les autorités pour imprimer la Bible, et il aura fallu des décennies pour que le modèle économique s’affine et devienne viable. Là, en moins de 30 ans, l’économie aura dû encaisser l’informatique, l’Internet et l’IA : cela fait beaucoup.

Une bonne partie des métiers qui disparaissent sont la plupart du temps les moins qualifiés, et l’on prédit la disparition des « petites mains » dans les rédactions, notamment celles qui passent leur temps à copier-coller des news pour les insérer dans les pages Web de l’employeur. La disparition de ce style de job va certes laisser des gens sur le carreau, mais, en même temps, difficile de penser que ce genre de tâches ultrarépétitives et barbantes pouvait perdurer. Aux États-Unis, une entreprise de cours à domicile a mis la clé sous la porte, mais avec l’avènement du Web et des cours en ligne, c’est déjà miraculeux que ce type de sociétés ait survécu jusque-là.

Dans une vie précédente, pour un dossier de paiement des plateaux-repas au self d’un établissement, j’ai vu de mes yeux un agent administratif rentrer à la main le tarif des petits pains du plateau-repas, tarif qui variait selon l’entreprise d’appartenance de la personne qui venait déjeuner et son indice majoré (authentique). Quand on a réussi à automatiser tout ce bazar (le passage de 13 tarifs différents des petits pains à un seul a été d’une complexité politique que vous n’imaginez même pas), quelle ne fut pas notre surprise de voir la mine effrayée de l’agent administratif en question, persuadé que l’on allait « lui prendre son travail » (toujours authentique). Bonne nouvelle, l’agent administratif en question est toujours en poste, continue à percevoir son salaire et fait des trucs autrement plus intéressants pour lui et rentables pour son employeur.

Vouloir interdire l’IA ? On se demande bien qui a pu avoir cette idée saugrenue. Tiens, si on interdisait Internet ou les téléphones portables ! Soyons sérieux, même si le code de ChatGPT est saisi et mis sous séquestre, une autre entreprise en développera un clone puisque ce qui a été fait une fois peut être refait. Le coup est parti, c’est fichu, ce n’est qu’une question de mois avant que tout ce qui pourra être fait, dans tous les domaines, avec une IA de ce genre, sera fait, investigué, recherché, développé, etc.

Il y a par ailleurs des métiers plutôt qualifiés qui vont subir le même sort, et c’est la raison pour laquelle le vrai débat porte comme toujours sur deux items. Le premier concerne le partage de la valeur, à savoir qui va empocher les économies d’échelle générées par l’IA, comment on va les redistribuer, à qui et sous quelle forme. Ce sujet est d’ordre économique et sort du cadre de cet article. Le second concerne, comme toujours, la question de l’évolution des compétences, que ce soit par la formation initiale ou par la formation continue, avec en filigrane celle des emplois.

On va être optimiste : on va dire que tous les ministères de l’Économie des pays de l’OCDE se sont lancés dans une étude à grande échelle pour repérer les métiers à risques, avec un recensement des personnes impactées et une évaluation des coûts directs et indirects, que les ministères de l’Éducation ont tous mis en place une task force de ouf pour plancher sur le sujet avec un plan de formation sur cinq ans, que les projets de loi pour encadrer la détention, l’usage et l’hébergement des IA sont en train de sécher et que les lois fiscales sont en préparation pour taxer tout ce machin.

Ah, on me dit dans l’oreillette que le dernier sujet est en avance sur le planning…

[1] https://www.dsih.fr/article/5100/la-cyber-va-bien-en-fait-plus-que-bien-hyperbien.html 


L'auteur 

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.

#formation#sécurité


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