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La vidéosurveillance dans tous ses états

Cédric Cartau, MARDI 20 AVRIL 2021

Mais qu’est-ce qui a donc bien pu passer par la tête du ministre Dupont-Moretti ? Partant certainement d’une bonne intention – de celles dont l’enfer est pavé –, soit la volonté de rendre plus compréhensible le fonctionnement de l’institution judiciaire et de redonner confiance aux citoyens, le ministre souhaiterait filmer les procès. Revenons aux basiques du RGPD : consentement des prévenus (c’est la partie la plus facile), droit d’opposition (idem), mais surtout droit de changer d’avis : tiens, au fait, j’avais dit oui, mais en y réfléchissant je ne veux plus, merci d’arrêter de filmer et surtout d’effacer les images. Les avocats pénalistes interrogés dans la presse sont unanimes : ils conseilleront systématiquement à leurs clients de s’opposer aux prises de vues : imaginez l’effet que produiraient, 10 ou 15 années plus tard, les images sur les réseaux sociaux d’un accusé dans un box qui au final aurait été acquitté ? Rien ne se perd ni ne s’efface au xxie siècle. Certes, le premier procès filmé de l’Histoire a été celui du criminel de guerre Klaus Barbie (1987), mais les images ont été captées à des fins historiques et nullement destinées à être diffusées immédiatement puisque l’INA devait les conserver au secret pendant 20 ans[1].

Plus proche de nous, un article du New York Times du 21 octobre dernier constate que la vidéosurveillance se retourne maintenant contre les forces de l’ordre. Le quotidien remarque que nous sommes très rapidement passés à une société qui déploie des caméras tous azimuts avec des technologies extrêmement sophistiquées de reconnaissance faciale. Le footballer Antoine Griezmann a rompu son contrat publicitaire avec Huawei après les révélations d’un déploiement d’alarmes « anti-ouïgoures » auquel a participé la firme chinoise dans le cadre d’un programme expérimental de reconnaissance faciale en Chine, ce qui montre aisément que les dérives à la Orwell ne relèvent pas du fantasme. Mais le NYT remarque aussi que nous sommes en train de basculer dans une société ou les forces de l’ordre sont désormais filmées dans tous les pays par les manifestants eux-mêmes, et les images publiées sur les réseaux sociaux.

Comme d’habitude l’hôpital n’échappe pas à cette mouvance de fond. La vidéosurveillance y est déjà présente depuis de nombreuses années, à des fins de prévention contre les violences ou, dans certaines maternités, contre les enlèvements de nouveau-nés. Selon que les lieux filmés sont ou non accessibles au public, la procédure d’autorisation n’est pas la même (autorisation préfectorale dans le premier cas), mais globalement ce domaine n’a connu que peu de changements pendant des décennies. Jusqu’à l’arrivée du numérique et des webcams à moins de 100 euros connectées directement au réseau IP, et surtout du stockage pas cher sur des disques durs.

La tendance à l’hôpital est de placer des caméras dans tous les locaux sensibles : stockage de stupéfiants dans les pharmacies, locaux techniques, datacenter, etc. Leur déploiement dans les salles d’attente de certains services se justifierait par le souci d’épargner au personnel la traversée de longs couloirs pour s’assurer qu’aucun patient n’est en train d’attendre. Cela se discute : il existe des outils de détection de présence beaucoup moins intrusifs, à l’image de ce que déploient, par exemple, certains parkings souterrains pour comptabiliser automatiquement le nombre de places disponibles. Mais on trouve aussi des caméras dans les « araignées » des blocs opératoires pour filmer une intervention chirurgicale à des fins d’enseignement. Et, plus récemment, dans la chambre des patients en réanimation pour une surveillance à distance depuis la salle des personnels soignants.

Pour ce dernier cas, il serait intéressant de savoir comment on s’y prend pour recueillir le consentement ou l’opposition du patient. Comment on s’y prend aussi, même si le patient est d’accord, pour débrancher les caméras pendant, par exemple, le temps de toilette quotidienne. Ou quand la famille visite le patient. Il serait aussi intéressant de connaître la justification : « surveiller » un patient nécessite la prise de constantes (rythme cardiaque, etc.) avec éventuellement un report d’alarmes : un DPO est en droit de demander une justification sur ce que la vidéo apporte de plus pour donner un avis sur ce genre de dispositifs, et bien entendu en évaluer la proportionnalité au regard des finalités poursuivies. On retrouve de manière classique les notions d’éthique et de respect de l’intimité.

Sans parler du droit basique de la confidentialité des données médicales. Quand on sait que le niveau de sécurité des caméras IP modernes est quasiment nul (quantité de botnets sont montés à partir de ces dispositifs), que la simple présence d’un patient dans une chambre donnée (par exemple en oncologie) renseigne très clairement sur le motif de l’hospitalisation, et que la capacité des hôpitaux à garantir qu’aucune fuite d’images ne se produise jamais est proche de zéro, nous sommes en droit de nous interroger sur ce genre de dérives.


[1] https://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/1987-klaus-barbie-un-proces-filme-en-integralite/ 

#vidéosurveillance##patient