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Le Data Governance Act ou la réutilisation des données sans véritable valorisation

Me Laurence Huin | Cabinet Houdart & Associés , MARDI 29 MARS 2022

Conditions indispensables à l’innovation en santé au bénéfice des citoyens, l’ouverture, le partage et la réutilisation des données est une tendance de fond du secteur de la santé. Mais cette réutilisation doit-elle se faire au sacrifice des intérêts des organismes du secteur public ? C’est ce que laisse présager le projet de règlement européen sur la gouvernance européenne des données (Data Governance Act - DGA). Décryptage. 

Dans le cadre de la mise en place du marché unique des données à l’échelle de l’Union européenne, un accord sur le projet de règlement européen sur la gouvernance des données (Data Governance Act - DGA)[1] a été trouvé fin de l’année 2021 entre le Conseil et le Parlement européen. Ce texte attend désormais d’être approuvé formellement par le Conseil. Composante essentielle de la stratégie européenne pour les données et du marché unique des données, ce règlement d’application directe dans l’ensemble des pays de l’Union européenne est présenté comme l’instrument juridique qui permettra de faciliter le partage des données entre les secteurs d’activités, et ce, à des fins de recherche et de création de nouveaux services et produits innovants.

Outre la mise en place de nouveaux acteurs que seront les « services d’intermédiation de données » et de nouveaux usages tels que « l’altruisme » en matière de données, ce DGA mettra en place des mécanismes pour faciliter la réutilisation de certaines catégories de données protégées du secteur public. 

Les seules données concernées par cette réutilisation sont celles des organismes du secteur public intégrant l’Etat, les autorités régionales ou locales, les organismes de droit public ou les associations formées par une ou plusieurs de ces autorités ou organismes. La réutilisation des données du secteur privé et des entreprises publiques ne sont pas concernées par ce projet de règlement. 

Contrairement à ce que certains commentateurs prétendent, cette réutilisation des données des organismes du secteur public se fera dans des conditions défavorables à ces derniers.

Sans revenir à la limitation de la liberté contractuelle des organismes du secteur public qui se verront interdire tout accord d’exclusivité portant sur la réutilisation des données[2] ou à la limitation du droit d'interdire l'extraction et/ou la réutilisation de leurs bases de données[3], pourtant reconnu au producteur d’une base de données au titre du droit sui generis[4], ce sont les conditions financières liées à la redevance qui posent véritablement question. 

En effet, les redevances prévues par le projet de règlement au bénéfice des organismes du secteur public pour autoriser la réutilisation de ces données seront uniquement calculées sur la base des « coûts liés au traitement des demandes de réutilisation des données »[5]. Ainsi seuls les coûts du traitement des demandes seront pris en compte dans le calcul de la redevance et non la valeur réelle d’accès et d’utilisation de telles bases de données. 

Alors même qu’un appel à projet doté de 50 millions d’euros est lancé pour accompagner et soutenir la constitution d’entrepôts de données de santé hospitaliers[6], il serait injuste de ne pas prévoir une juste contrepartie pour utiliser les données des organismes du secteur public, notamment ceux qui se sont dotés d’un entrepôt de données de santé. Au-delà du sentiment d’injustice, il sera indispensable pour les acteurs ayant consenti à des investissements lourds pour la structuration de leurs données d’organiser juridiquement une réutilisation de leurs bases de données à leur juste valeur.


[1] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la gouvernance européenne des données 2020/0340 (COD)

[2] Article 4 de la proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données

[3] Article 5 paragraphe 7 de la proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données 

[4] Directive 96/9/CE sur les bases de données et transposée en droit français et Articles L342-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

[5] Article 6 paragraphe 5 de la proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données

[6] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/ouverture-d-un-appel-a-projets-dote-de-50-millions-d-euros-pour-accompagner-et


L'auteur 

Forte d’une solide formation en droit des TIC, Laurence Huin a développé une expertise juridique et technique en matière de projets numériques.
Elle rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est associée au sein du pôle Santé numérique.
Elle est ainsi régulièrement sollicitée auprès des acteurs du numérique pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et pré-contentieuses (mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, rédaction et négociation de contrats sur des projets, sécurisation juridique de projets, régulation des contenus et e-reputation). cabinet@houdart.org | www.houdart.org

 

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