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Droit d’accès gratuitement à son dossier médical : la CJUE se prononce

Alexandra ITEANU, LUNDI 06 NOVEMBRE 2023

La protection des données personnelles est de plus en plus au cœur de litiges aux sujets variés. Un salarié sur le départ, un concurrent jaloux ou encore comme c’est le cas ici, un patient mécontent de son médecin, autant de personnes qui décident de s’appuyer sur les dispositions du règlement UE n°2016/679 dit « RGPD » pour obtenir des documents qui leur seront bien utiles devant un juge. 

 Par Maître Alexandra ITEANU


Cela est notamment rendu possible grâce à l’article 15 du RGPD, qui consacre un « droit d’accès » à toute personne dont les données personnelles sont traitées par un « responsable de traitement » (ou « data controller » en anglais).

Dans un arrêt rendu le 26 octobre 2023[1], la Cour de justice de l’Union Européenne (« CJUE »), a eu l’occasion de répondre à la question suivante : un médecin est-il dans l’obligation de transmettre gratuitement la copie du dossier médical de son patient à sa demande ?

Droit d’accès à ses données personnelles : ce que dit le RGPD 

Cette question touche directement le droit d’accès aux données personnelles de tout citoyen européen, consacré par les articles 12 (obligation de transparence) et 15 (droit d’accès) du RGPD.

Concrètement, le RGPD permet à toute personne physique de demander la copie de ses données à caractère personnel, à tout responsable de traitement (« data controller » en anglais) qui les détiendrait.
Le considérant 59 du même règlement précise quant à lui que cette première copie des données personnelles doit être transmise en principe à titre gratuit par le responsable de traitement.

Les faits : un patient allemand mécontent de son dentiste demande à récupérer son dossier médical 

Un patient allemand, mécontent des soins dentaires administrés par son dentiste, exigeait de ce dernier la copie de son dossier médical afin d’engager sa responsabilité.
Le dentiste était prêt à accéder à sa demande, à condition que ce dernier prenne en charge les frais liés à la fourniture de la copie du dossier médical. 

Le praticien s’appuyait pour sa demande de paiement sur le droit allemand, qui prévoit que la transmission du dossier médical par un médecin est conditionnée au paiement des frais de copie.
Ce régime vise à « protéger les intérêts économiques du praticien, ce qui dissuaderait les patients de formuler inutilement des demandes de copie de leur dossier médical »[2]. Il convient de préciser que cette loi a été adoptée avant l’entrée en vigueur du Règlement UE n°2016/679 dit RGPD.

La juridiction allemande a donné raison au dentiste en considérant que le patient peut obtenir une copie de son dossier médical, à condition de rembourser au praticien les frais qui en résultent. C’est dans ce cadre que la Cour fédérale de justice allemande a posé la question préjudicielle à la Cour de justice.

Les conclusions de la CJUE : la transmission du dossier médical dans le cadre d’une première demande doit rester gratuite, malgré le droit national allemand qui prévoyait le paiement de frais 

La CJUE n’est pas de cet avis, et a rappelé que le médecin avait l’obligation de fournir gratuitement une première copie des données à caractère personnel de son patient qui en fait la demande. 

La Cour ajoute que le patient n’a aucune obligation de justifier sa demande de droit d’accès.

De plus, cette copie des données personnelles doit être une « reproduction fidèle et intelligible de l’ensemble de ses données ». La Cour a ainsi rappelé que le « dossier médical » transmis impliquait les documents suivants : diagnostics, des résultats d’examens, des avis de médecins traitants et tout traitement ou intervention administrés au patient qui en fait la demande.

Enfin, concernant les dispositions du droit allemand, qui imposent des frais de copie pour « protéger les intérêts économiques » de ses médecins, la Cour a considéré que les lois nationales ne pouvaient pas imposer aux patients le paiement de frais pour la copie de leurs dossiers médicaux.

 Le droit d’accès, un droit précieux protégé par le RGPD et la CJUE 

Comme le rappelle la CJUE dans cet arrêt, étant donné « l’importance qu’attribue le RGPD au droit d’accéder aux données à caractère personnel », ce droit d’accès ne peut être limité ni conditionné par les législations nationales.
Il est trop important aux yeux de l’instance européenne de préserver ce droit d’accès, qui permet à tout citoyen européen de garder un certain contrôle sur ses données à caractère personnel.
Dans notre pratique, nous nous rendons compte de plus en plus que ce droit d’accès est invoqué dans de nombreuses situations, parfois assez éloignées du domaine des données personnelles. 

Dans le domaine médical également, il est de plus en plus fréquent pour des médecins, mais aussi des centres de santé et des hôpitaux, de recevoir des demandes de droit d’accès sur le fondement du RGPD. C’est ici la force (et parfois la faiblesse) de ce règlement, que de permettre à toute personne physique, patients, clients ou simple citoyen, d’avoir accès quel que soit le contexte à ses informations, et de rétablir ainsi un certain équilibre. 


[1] Arrêt de la Cour dans l’affaire C-307/22 

[2] Considérant 64 de l’arrêt de la CJUE

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