Vous êtes dans : Accueil > Tribunes libres >

Au nom du Père, des bits et du cyber-Esprit

Cédric Cartau, MARDI 03 MAI 2022

Je suis tombé il y a quelque temps sur une excellente émission de la série documentaire 42 d’Arte[1] consacrée au stockage des déchets nucléaires issus principalement des centrales. Outre le débat sur la technologie, les 23 minutes du reportage étaient principalement dédiées à une question à la fois bête et complexe : étant donné la durée de stockage (on parle dans la plupart des cas en millions d’années), comment s’assurer que nos descendants n’oublieront pas ces lieux de stockage (la plupart du temps souterrains) et comprendront le sens des panneaux signalant le danger des émissions radioactives ? Si la question vous paraît saugrenue, je vous rappelle que l’on a déjà du mal à relire les textes originaux du français d’il y a à peine 500 ans (essayez juste pour voir de lire Le Roman de Renart[2] dans le texte), il y a de fortes chances que dans même pas 1 000 ans les films et les romans du xxie siècle seront totalement abscons pour nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants. Alors imaginez dans 10 000 ans ou plus !      

Pas mal d’experts se creusent la tête sur la signalétique ou les matériaux à utiliser pour des panneaux ou des affiches quasi indestructibles, etc. Mais, parmi les idées particulièrement ingénieuses qui ont été avancées, l’une d’elles m’interpelle : il s’agirait de créer un clergé. Un clergé, avec ses prêtres, sa liturgie, ses textes sacrés, etc., entièrement dédié au maintien de la mémoire des lieux. Idée pas si bête après tout, quelle organisation humaine a démontré sa capacité à sauvegarder la mémoire d’un texte ou d’un mythe sur deux millénaires si ce n’est un clergé, toutes religions confondues ?

Et la lumière m’apparut ! À longueur de séminaires ou de réunions de la troisième mi-temps, les RSSI déplorent l’impossibilité de sensibiliser les-dirigeants-les-personnels-les-responsables-les-belles-mères-les-administratifs-les-médecins-les-biomed (cherchez l’intrus) ! Pourquoi ne pas créer un clergé entièrement voué à la cyber-bonne parole ? Avec ses textes sacrés, ses évêques, ses églises, ses controverses ? Mais pourquoi personne n’a eu cette idée avant ?

Bon, il faut d’abord un mythe fondateur. « Au commencement était l’algorithme, puis Il créa le ciel, la terre et le bit en six jours avant de se reposer le septième jour – mais Il fut d’astreinte non rémunérée. » Ce récit devrait faire consensus.

Ensuite, il faut des textes sacrés. Alors là, y a même pas débat : ce sera Le Mythe du mois-homme[3], la norme ISO 27001 et De l’informatique[4]. Le prochain concile (qui se tiendra au Mans début avril 2023) pourrait être dédié à la question de savoir si les publications de votre serviteur pourraient rejoindre le second groupe du corpus.

Ensuite, il faut tout un aréopage de dignitaires. Pour les évêques, il faudrait une Agence nationale de la sécurité des bits sacrés (ANSBS), pour le pape, on fera une élection sur un hyperviseur VMware, pour les curés de campagne, RSSI et DPO devraient faire l’affaire. Plus les personnages satellites, des anges salvateurs (les avocats) aux personnages interlopes genre Littlefinger[5] (j’ai quelques idées de cabinet conseil en tête…).

Après, il nous faut un schisme, impensable de monter un clergé sans schisme ! On pourrait imaginer deux ordres concurrents, l’Ordre Ebios et l’Ordre Méhari – mais en secret le pape manœuvrerait pour promouvoir l’alternative 27005. Il faudrait des trahisons, des retournements de situation, une police secrète genre La Garde de nuit[6] (sans célibat SVP, sinon faudra revoir les salaires à la hausse), avec des tenues comme dans Dune (la version de 1984 de David Lynch avec des capes en cuir imaginées par HR Giger[7], ça jette grave).

Il nous faut des méchants évidemment. Pas Nellie Oleson dans La Petite Maison dans la prairie, non, il faut de vrais bad guys. J’hésite entre Hannibal Lecter[8], Billou et Mark Zuckerberg. Hannibal, c’est mieux je pense, il fera moins peur aux enfants.

Après, il faut un script, et surtout il va falloir prévoir plusieurs saisons. Genre Les Feux de l’amour, le truc qui traîne en longueur, avec des fils cachés, des prises d’otages (qui se finissent bien comme à Rouen), des backdoors russo-coréennes, d’autres qui chauffent grave (comme à Dax), mais surtout jamais de morts et toujours une happy end. Pour la saison 2, on aurait un Dark Poutine qui opère dans l’ombre pour bloquer l’Internet national et pour la saison 3 il faudrait une franchise 007, avec les gadgets, une montre Omega et une héroïne fatale en tenue de soirée avec une clé USB infectée dans le talon de ses Louboutin.

Avec ce qu’il faut de goodies, une campagne de com bien orchestrée, quelques effets pyrotechniques et une marraine (j’avais pensé à Angelina), si avec ça on ne décroche pas des budgets hollywoodiens, c’est à désespérer ! On va faire un tabac !

Que les anges TCP et IP vous protègent, que le bit de parité soit avec vous ! Am€€€n.


[1]   https://www.youtube.com/watch?v=tgcI7avnkLQ&list=WL&index=11 

[2]   Daté de 1174 environ.

[3]   Frederick Brooks.

[4]   Michel Volle.

[5]   Game of Thrones.

[6]   Toujours Game of Thrones.

[7]   https://www.hrgigermuseum.com/

[8]   Le Silence des agneaux.


L'auteur 

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé. 

 

#sécurité#rssi