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NVIDIA et les scénarios de l’Apocalypse IT

Cédric Cartau , MARDI 03 OCTOBRE 2023

Je m’étais déjà essayé à l’exercice qui consistait à tenter d’imaginer les scénarii de type fins de partie, END OF GAME dans la cyber. L’idée venait d’un ouvrage de Guillaume Bigot il y a une petite vingtaine d’année : « Les 7 scénarios de l’apocalypse », qui mêlait joyeusement guerre nucléaire, attaque bactériologique mondiale et j’en passe.

Pour mémoire, les scénarii identifiés dans le précédent article[1] étaient :

- la fin des réserves de silicium ;
- la révolte des machines façon Terminator ;
- la réverbération retour des ondes électro-magnétique émises par l’Humanité depuis plus d’un siècle et qui perturberaient irrémédiablement tous les appareils électroniques ;
- un bug majeur dans TCP/IP que personne n’avait jamais détecté et qui mettrait HS tout Internet ;
- une attaque écolo massive sur les datacenters ;
- pénurie totale d’informaticien (ou grève massive façon scénaristes d’Hollywood c’est selon) ;
- les informaticiens qui tournent tous barjo au dernier degré (scénario aimablement suggéré par mon amis imaginaire) ;

Récemment je suis tombé sur la seconde vidéo[2] de Xavier Delmas (un ex-analyste en bourse qui fait pas mal de vulgarisation financière sur Youtube) consacrée à l’analyse des résultats de NVIDIA, entreprise dont le marché initial était la production de cartes graphiques haut de gamme pour les jeux vidéo, et qui débarque dans le calcul haute performance (cela représente maintenant sa principale source de chiffre d’affaire en 2023).

Même si l’on ne boursicote pas, il est important de se tenir au courant de ce type d’analyse et surtout du storytelling (supposé ou assumé) de leurs PDG car cela renseigne pas mal sur les forces en présence, le sens du marché et éventuellement les risques associés. Par exemple, une bonne partie de l’explosion du CA (et des marges) de NVIDIA concerne les acquisitions de puissance de calcul massif réalisés par les Méta, Google et autres réseaux sociaux qui ont mesuré que l’usage de l’IA (nécessitant ces calculs intensifs) dans le ciblage de leurs abonnés engendrait une forte croissance des vues (donc de la publicité ciblée, donc des revenus, CQFD).

Mais l’excellente analyse de Xavier Delmas pointe tout de même plusieurs nuages dans l’immense ciel bleu au-dessus de la tête de NVIDIA. Tout d’abord NVIDIA est en situation de quasi monopole, et les monopoles ne durent jamais longtemps, entre autre parce que les clients aiment bien diversifier leur approvisionnement. Ensuite, rien ne dit que la croissance évoquée des revenus de Méta dus à l’IA est durable au point de continuer à vendre une blinde des cartes graphiques high tech. Mais surtout, pour se fournir en composants, NVIDIA fait appel à un fournisseur quasi unique au monde : le fondeur TSMC qui a la petite particularité de se trouver à Taiwan, coin du globe légèrement problématique en termes d’enjeux géopolitiques. Dit autrement, un petit missile égaré tombant sur le campus des usines et adieu l’IA et les photos de chats améliorés – et les bénéfices de NVIDIA.

A titre personnel, j’adhère à la vision de NVIDIA selon laquelle nous sommes en train de passer de l’ère des giga-datacenter à l’ère des calculs intensifs - les principaux fournisseurs de datacenter au monde tel Digital Realty Trust investissent massivement dans la rénovation de leurs locaux en prévision de ces bouleversements. Sur l’impact économique durable du calcul intensif par contre, difficile d’être affirmatif : qu’il y ait des besoins est une chose, qu’ils soient économiquement rentables sur toute la chaîne de valeur en est une autre – certes la santé a des besoins gigantesques de calcul pour ses Big Data, mais avec quels sous ?

Enfin j’hallucine encore une fois que sur cette même chaîne de valeur (qui va de la production de chipset à l’usage sur un smartphone des recommandation des GAFAM) on trouve des SPOF de dingue : TSMC entre autres, mais aussi (c’est bête) le prix du MW d’électricité, la disponibilité des routes d’approvisionnement maritimes (c’est un tantinet encombré en mer de Chine). Certes le marché à une capacité de reconfiguration étonnante, mais souvenez-vous du blocage du super-tanker dans le canal du Panama, il y avait eu des conséquences à moyen terme très difficiles à résorber. D’accord on ne parle pas d’Apocalypse pour la fourniture d’un produit dont l’usage est, pour le moment, assez confidentiel et réservé à certains secteurs : mais quand tout le monde l’aura massivement adopté, ce sera une autre histoire...

Je ne sais pas pour vous, mais personnellement je trouve est assez fascinant de se dire qu’une bonne partie de l’avenir court / moyen terme dans l’IT se trouve dans les analyses des bilans et cours de bourse de 5 à 10 entreprises maximum à l’échelon planétaire...et qu’on saura lesquelles une fois que l’histoire sera ficelée et qu’on la racontera en connaissant la fin.


[1]   https://www.dsih.fr/article/4910/la-fin-de-la-cyber-ou-les-sept-scenarios-de-l-apocalypse.html 

[2]   https://www.youtube.com/watch?v=LRGKdGnYMdo&t=4s 


L'auteur 

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.

 

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