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L’année 2024 sera… ou ne sera pas

Cédric Cartau, MARDI 02 JANVIER 2024

Les conseillers financiers nous abreuvent à chaque début d’année de prévisions boursières (qui seront aussi fausses a posteriori que l’étaient celles de l’année précédente), aucune raison que je n’aie pas moi aussi le droit de « prospectiver » et d’allègrement me planter.

Si en 2050, en plus de l’augmentation générale de la température du globe que l’on aura été infichu de contenir, on constate que l’Europe est totalement larguée sur l’IA, il faudra ne nous en prendre qu’à nous-mêmes. À force de vouloir légiférer à tout crin, on oublie juste un petit détail qui est au demeurant une constante dans l’histoire de l’humanité : c’est celui qui possède le plus gros et le plus efficace canon qui impose ses choix aux voisins. S’il faut un jour aller quémander une mise à jour de l’IA qui équipera nos IRM, nos drones de combat, nos algorithmes d’analyse financière aux Gafam qui ne se priveront pas de nous la facturer au prix du platine, on ne pourra s’en prendre qu’à nous-mêmes. Après avoir consciencieusement sabordé nos industries de microcomposants, avoir raté le virage du numérique, du Web 2.0 et du Big Data, nous sommes en passe de prendre un retard irrattrapable dans l’IA. Les Gafam appelaient à un moratoire dans le développement de l’IA et des LLM, après les dernières versions de ChatGPT et avant que Google ne revienne dans la course, curieusement cette histoire de moratoire a été gentiment mise sous le tapis et tout repart comme en 40 dans la Silicon Valley. 2024 sera l’année décisive, celle qui nous donnera un léger aperçu du futur de nos enfants : on garde nos écoles d’ingénieurs ou est-on tous condamnés à servir des Martini aux terrasses de café à des touristes yankees et asiatiques dans une France devenue un gigantesque parc d’attractions ?

À moins que…
À moins que l’IA ne finisse par plafonner, qu’une rupture technologique (le quantique ?) ne rebatte totalement les cartes, que l’industrie européenne du logiciel ne finisse par combler la partie du retard qui nous confère un minimum d’autonomie et que la législation ici ne fasse exemple dans le reste du monde, qui pille allègrement les données d’à peu près tous les individus sans aucun consentement autre que des conditions générales ineptes et illisibles sauf à disposer d’un doctorat en droit des contrats. La roue tourne, et surtout elle ne s’arrête jamais de tourner.

2024 sera certainement l’année de la prise de conscience des pouvoirs publics de l’état préoccupant de la cyber dans pas mal d’administrations. En octobre 2021, à la sortie d’une conférence aux Assises de la sécurité de Monaco, Gérôme Billois (Wavestone) et moi avons fait un pari sur cinq ans, le premier (Gérôme) s’en tenant aux prévisions de l’Anssi selon lesquelles la question des ransomwares serait réglée d’ici là, le second (moi) prétendant qu’on ne s’en débarrasserait jamais. Nous sommes à plus de deux ans du début du pari, et la situation sur le front des ransomwares s’est considérablement dégradée – et que l’on ne vienne pas me baratiner avec le conflit ukrainien qui aurait prétendument changé l’équation. Le programme Care qui démarre dans le monde hospitalier va-t-il changer la donne ? Quand on voit les besoins (en équipes cyber de cinq à dix personnes selon la taille des établissements, chiffre dont aucune structure ne dispose) et l’état des SI (des pans entiers dans un état cyber plus que préoccupant), on se dit qu’il y a du travail. D’autant qu’encore une fois on ne parle toujours pas (mais, paraît-il, ils devraient finir par arriver) de crédits pérennes.

À moins que…
À moins que l’approche des JO 2024 ne déclenche enfin l’électrochoc tant attendu, et qu’enfin on ne déroule des plans volontaristes de remise à niveau cyber des SIH. Et que les établissements de santé ne se dotent de plans de prévention et de protection/remédiation des attaques cyber, rendant plus supportables ces intrusions autrefois délétères et ramenant de la sérénité chez les RSSI dont le niveau de stress a atteint un niveau inquiétant. Et qu’enfin la gouvernance globale n’intègre le fait que ce n’est pas de ressources « one shots » dont la cyber à besoin, mais de crédits pérennes. Parce que les audits, c’est bien beau, mais que sans remédiation les rapports restent dans un tiroir. Parce que la plupart des outils dont on dispose permettent déjà d’amener la cyber à un niveau convenable sans avoir à sortir en plus le carnet de chèques… à condition que les DSI ne passent pas leur temps à courir après 15 lièvres. Bref, que la cyber n’est pas tant un problème de moyens financiers que d’organisation et de priorité. Comme tout, du reste.

Dans de nombreux domaines, la France a montré que si elle accusait souvent un retard à l’allumage, sa capacité de réaction était étonnante et qu’elle pouvait le rattraper en un temps record. On va positiver : chiche pour la cyber ? Gérôme gagnerait notre pari, et ce serait tant mieux.

Bonne année.


L'auteur

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.

 

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