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E-santé 2022 : top départ

Cédric Cartau, MARDI 17 SEPTEMBRE 2019

N’ayant pas pu être présent à Lille pour le lancement du Tour de France de présentation du programme Ma santé 2022, je me suis rattrapé en visionnant la conférence (ici1) pour vous faire un premier retour à chaud.  

On va commencer par une bonne nouvelle : quand Dominique Pon, qui introduit la conférence, affirme que (je cite) « franchement, l’e-santé, c’est un peu le bazar en France », je suis totalement en phase, et je ne dois pas être le seul. Que l’on en juge. La MSSanté, on en est à la troisième ou quatrième mouture, et ce n’est pas encore gagné malgré les affirmations des conférenciers. La télé-imagerie, on en entend parler depuis au moins 20 ans, et tous les cinq ans on nous explique que trois ans plus tard elle sera généralisée sur tout le territoire. Pour ce qui concerne la carte CPS, en 2009, les établissements expérimentateurs avaient tenté d’expliquer aux pouvoirs publics qu’il fallait dématérialiser les certificats, sans succès. On va donc tenter d’être positif, et le lecteur pourra prendre connaissance du document de base ici (2) .

La conférence tourne autour de cinq grandes orientations : refonte de la gouvernance, SSI et interopérabilité, déploiement de services numériques socles, déploiement de plateformes numériques à l’échelon national et stimulation de l’innovation. Évidemment, certains points sont sujets à débat (le DMP entre autres), mais l’intérêt du document réside dans le fait que, d’une part, c’est – à ma connaissance – la première fois que le sujet du numérique en santé est pris par le bon bout (à savoir poser le socle, puis les usages) et, d’autre part, qu’il apporte une vision assumée du déploiement des services numériques en santé. Et ce que l’on espère surtout, c’est que les pouvoirs publics feront preuve de réalisme pour ajuster les orientations en fonction des difficultés et des retours du terrain, ce qui n’a pas forcément été le cas par le passé. On retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises le concept d’État plateforme, développé par Laura Létourneau dans l’excellent ouvrage « Ubérisons l’État avant que d’autres ne s’en chargent » dont elle est coauteure. Cela étant, cette vision (exposée dans le document et la conférence susnommés) soulève tout de même plusieurs questions, qu’il est bien entendu impossible de traiter dans ce format de rapport et de conférence.

Le premier sujet concerne la MSSanté. En dehors de l’usage croissant de cet outil, un certain nombre de cas d’usage ne sont pas couverts, et notamment l’envoi de documents médicaux à des professionnels extérieurs au domaine de la santé. Par exemple, la transmission de rapports médicaux à un juge dans le cadre d’une maltraitance supposée ou avérée (le monde de la justice, pas plus que les policiers et les gendarmes, n’ont accès à la MSSanté, et les établissements de soins doivent jongler avec des outils hétérogènes). Il est étonnant que la question de la fusion avec la messagerie sécurisée de l’État ne soit jamais abordée, ce qui résoudrait pas mal de cas.

Le deuxième sujet concerne le DMP. Certes, la conférence fait bien état des 6,5 millions de DMP ouverts (sans d’ailleurs que soient précisés les volumes de documents stockés et les usages), mais quid de leur articulation avec les DPI de GHT (qui ne sont ni plus ni moins que des DMP de GHT), voire avec les DMP de territoire (agrégation à l’échelon régional des DPI des différents GHT d’une même région) ? Il semble qu’il y ait une course à la taille sur le nombre de dossiers ouverts, stockés, etc., et il n’est pas certains que les DSI des établissements supports aient les moyens de courir deux lièvres à la fois.

Le troisième sujet concerne le Health Data Hub – autrement dit le Big Data national en santé, dont personne ne remet en cause le bien-fondé, et surtout pas votre serviteur. Certaines régions (notamment le Grand-Ouest) sont en train de constituer leur propre Data Hub(3) , et les questions d’habilitations, cruciales sur ce sujet, seront nettement moins complexes à traiter à l’échelon régional.

D’autres questions, certes plus opérationnelles et pas forcément du ressort du rapport précité, se posent et ne font à ce jour l’objet d’aucune réflexion sur le plan national. Comme la place de l’Open Source dans les SI de santé, qui permettrait de régler la question de la dépendance à des fournisseurs d’outils bureautiques ou de bases de données qui sont essentiellement en position de « relever les compteurs » et dont la valeur ajoutée est très discutable au regard de ce que l’Open Source peut offrir en termes de niveau fonctionnel. Ou encore la question des niveaux budgétaires affectés aux SI – avec 1,7 % en moyenne sur le territoire national, inutile de prétendre à une classification Himss de niveau 6 comme c’est le cas de tous les CHU aux Pays Bas. Des travaux telle la cyberveille développée par l’Asip Santé (dont il faut souligner l’excellence) montrent que certaines initiatives ne peuvent se faire qu’à l’échelon national, alors que d’autres ne peuvent faire l’objet que d’instructions et de cadrages de la part des pouvoirs publics, charge aux acteurs de s’inscrire dans ce canevas.


[1] https://esante.gouv.fr/tour-de-france-de-la-e-sante-lille 

[2] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/feuille-de-route-accelerer-le-virage-numerique 

[3] https://www.ticsante.com/story.php?story=4763 

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